Faut-il créer une taxe spéciale pour le numérique ?

vendredi 11 octobre 2013
Crédit : Véronique Pierron/AllGov France

« La fiscalité du numérique doit dépasser les frontières  car elle soulève des difficultés techniques et toutes les idées de taxes nationales créent des problèmes plus graves que ceux qu’elles ne résolvent », analysait Pierre Moscovici lors du séminaire sur la fiscalité à l’heure du numérique. Le ministre assurait aussi que le gouvernement « ne créera aucune taxe numérique en 2014 ». Aujourd’hui, les écarts de traitement fiscal entre les entreprises du numérique et les entreprises plus traditionnelles sont devenus très importants et cela créé des distorsions de concurrence car ces acteurs – américains dans leur grande majorité – mettent en place des montages qui leur permettent d’échapper à l’impôt.

Ainsi, des travaux sont en cours au sein de l’OCDE avec le projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) dont l’objectif est d’analyser si les règles actuelles permettent l'attribution de bénéfices imposables vers des endroits différents de ceux où l'activité réelle a lieu. Et dans le cas échéant, comment faire pour changer cette situation. L’Europe aussi reste vigilante et au sein de la Communauté se tiendra à la fin du mois d’octobre, un Conseil européen du numérique.  « Il y a une nécessité d’adapter le cadre fiscal du numérique et donc d’adapter les outils existants car la territorialité de la fiscalité est très mal adaptée à ces entreprises », soulignait Fleur Pellerin, ministre déléguée, chargée des Petites et Moyennes Entreprises, de l'Innovation et de l'Economie numérique.  La dimension européenne est centrale dans cette réflexion car  « il faut rétablir une équité entre les acteurs européens et non européens », ajoutait la ministre.

 

Créer un impôt qui corrige les failles du numérique

Cette fiscalité est devenue un enjeu dans le débat public car les citoyens  estiment que ces entreprises ne prennent pas en charge leur part d’imposition et que celle-ci est balancée vers les ménages.  Or fiscaliser n’est pas aussi simple car toutes les entreprises utilisent aujourd’hui le digital dans leur cœur de métier. « Ce qui différencie les entreprises numériques des autres tient essentiellement au fait qu’elles sont en général BtoC donc en lien direct avec les particuliers et qu’elles ont réussi à faire de ce lien un levier  et de réinjecter ces données récoltées dans leur chaine de valeur », expliquait Nicolas Colin, inspecteur des finances et co-rapporteur de la mission d’expertise sur la fiscalité du numérique.

Ce poids des incorporels joue un rôle majeur  dans la non imposition de ces sociétés numériques car cette construction leur permet de transférer des fonds d’un pays à un autre. « La règle de la territorialité de certains impôts est aujourd’hui inadaptée au système et ce sera l’objet du Conseil Européen du numérique », soulignait Pierre Moscovici.  Google par exemple, réalise son chiffre d’affaire dans une société irlandaise et transfère tout ce capital dans une société de droit bermudéen via l’Etat tunnel que sont les Pays Bas car ils ne font pas de prélèvements à la source. « Si l’objectif d’éliminer la double imposition est aujourd’hui atteint, nous devons à présent  éliminer la double non imposition », expliquait Pierre Collin, conseiller d’Etat, co-rapporteur de la mission d’expertise sur la fiscalité du numérique.

Les intervenants au séminaire étaient tous d’accord sur un point : Il ne s’agit pas de créer un nouvel impôt pour les sociétés numériques mais de s’appuyer sur l’impôt sur les sociétés en prenant en compte les spécificités des entreprises numériques. « L’enjeu va au-delà du numérique et reconstruire un impôt sur les sociétés qui a du sens exige que l’on corrige les failles, Etats tunnels, produits hybrides ou sociétés hybrides, qui sont une spécificité du numérique », précisait le député Pierre Alain Muet, co-rapporteur de la mission d’information sur « L’optimisation fiscale des entreprises multinationales dans un contexte international ».

 

La solution de la fiscalité internationale

Aujourd’hui, la fraude fiscale représente pour l'Union européenne un manque à gagner de… 2 000 milliards d'euros chaque année. C'est ce que rapportent les députés Nicolas Dupont-Aignan et Alain Bocquet dans les résultats de leur enquête sur les paradis fiscaux présentés le 9 octobre devant la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. « Les règles ne sont pas adaptées et aujourd’hui, il existe un consensus au sein de l’OCDE qui dit que l’impôt sur les sociétés est nécessaire et nous nous sommes fixé un délai de deux ans pour créer un processus », remarquait Pascal Saint Amans, directeur du centre de politique et d’administration fiscales à l’OCDE. « Le moteur est le G20 », ajoutait-il. 

Les actions de l’OCDE portent ainsi sur la neutralisation des produits hybrides et des sociétés hybrides et cherchent à déterminer le pays qui a le droit de taxer. D’ailleurs via le BIAC (Business and industry advisor committee), les entreprises soutiennent les travaux du BEPS car comme le remarquait justement Karine Uzan Mercié, vice présidente du Biac : « Si les entreprises ne s’y intéressent pas, les Etats introduiront dans leurs législations des mesures qui aboutiront à une double imposition ». L’objectif est de parvenir  à un environnement stable et cohérent en mettant fin aux schémas abusifs sans que la fiscalité soit un frein à la croissance.

« La fiscalité Internationale doit d’adapter au numérique mais il n’est pas question de créer une pression fiscale supplémentaire  mais de rétablir la justice et faire en sorte que les entreprises paient leur dû dans le territoire où elles font du business  », estimait Pierre Moscovici. « Nous devons analyser les carences de notre système actuel », concluait-il.

Véronique Pierron

Pour en savoir plus :

Le projet BEPS

Google et l’optimisation fiscale

 L’optimisation fiscale des entreprises multinationales dans un contexte international

Enquête sur les paradis fiscaux

BIAC

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