Relations franco-vaticanes : les conseils du pape François aux politiques français

mardi 18 juin 2013

Une délégation de 45 parlementaires, menée par les présidents des deux groupes d’amitié France-Saint-Siège - le sénateur UMP Charles Rivet et le député UMP Xavier Breton - s’est rendue au Vatican ce samedi 15 juin pour une audience privée auprès du pape François

« L’Église désire apporter sa contribution spécifique »

Lors de cette première rencontre avec une délégation française depuis son élection, le pape François, a prononcé une allocution (retranscrite par La Croix) dans laquelle il a tout d’abord loué « la qualité des relations » entre les deux États. Puis, sans émettre de critique sur la politique française et sans évoquer de dossier en particulier, il a prodigué quelques conseils car « l’Église désire apporter sa contribution spécifique sur des questions profondes qui engagent une vision plus complète de la personne et de son destin, de la société et de son destin. » Contribution « dans le domaine anthropologique ou sociétal, mais aussi dans les domaines politique, économique et culturel. »

Le pape François a estimé que « le principe de laïcité qui gouverne les relations entre l’État français et les différentes confessions religieuses ne doit pas signifier en soi une hostilité à la réalité religieuse, ou une exclusion des religions du champ social et des débats qui l’animent. Selon lui, les parlementaires « ont le « devoir (…) de contribuer de manière efficace et continue à l’amélioration de la vie de [leurs] concitoyens ». Et si la tâche des « élus d’une Nation vers laquelle les yeux du monde se tournent souvent » « est certes technique et juridique, consistant à proposer des lois, à les amender ou même à les abroger. Il [leur]  est aussi nécessaire de leur insuffler un supplément, un esprit, (…) une âme qui ne reflète pas uniquement les modes et les idées du moment, mais qui leur apporte l’indispensable qualité qui élève et anoblit la personne humaine. »

Débat sur l’existence d’une allusion à la loi sur le mariage homosexuel : Il n’y a « pas lieu de polémiquer » selon le rapporteur de cette loi

Les parlementaires se sont dits touchés par la « facilité de contact » et la « simplicité » du pape et ont retenu de son discours « un message de laïcité », un rappel de « leur liberté de législateur », sa reconnaissance de la « mission particulière » de la France, « une mission importante dans le monde » ainsi que son « attention particulière pour la justice et la justice sociale en particulier ». Ils ont également insisté sur la déclaration du pape François quant aux « relations de confiance qui existent généralement en France entre les responsables de la vie publique et ceux de l’Église catholique, que ce soit au niveau national ou au niveau régional ou local. »

Si la majorité des parlementaires, à l’instar du député UMP Alain Marleix, ont précisé qu’il ne pointait « aucun texte en particulier », le sénateur UMP Christian Cambon considère que la pape François visait la loi sur le mariage pour tous adoptée le 23 avril et a décrypté le message comme une « justification des combats que nous avons menés ». Il a déclaré : « Le pape ne part pas en guerre contre la loi » mais son « message assez clair (…) nous incitera le moment venu, à revenir sur ces questions, notamment en matière de filiation. »

Radio Vatican qualifie également la déclaration du pape - lorsqu’il s’est félicité « que la société française redécouvre des propositions faites par l’Église, entre autres, qui offrent une certaine vision de la personne et de sa dignité en vue du bien commun » - d’« allusion à peine voilée aux manifestations contre le mariage pour tous ». En effet, Jorge Mario Bergoglio, alors qu’il était archevêque de Buenos Aires, s’était déjà prononcé contre le mariage homosexuel.

Le député PS Thomas Thévenoud a, quant à lui, considéré qu’il pouvait s’agir d’une allusion aux « lois votées sous les précédentes mandatures », rapporte La Croix. Mais Thomas Thévenoud a insisté dans un communiqué : « Je peux attester qu’à aucun moment la loi sur le mariage pour tous n’a été évoquée, ni par le pape, ni par le sénateur Charles Revet qui s’est exprimé au nom de la délégation. »

Interrogé par BFM-TV, le rapporteur de la loi sur le mariage homosexuel, le député PS Erwann Binet, a estimé qu’il n’y avait « pas lieu de polémiquer », ces propos étant bien « plus soft que certains de ceux que nous avons pu entendre ces derniers mois dans notre pays, y compris par des représentants de l’Église ». Lui aussi a insisté sur le fait que le pape François n’a « même pas cité le mariage pour tous » concluant qu’il ne percevait « pas de provocation de sa part ».

Diplomatie pontificale : la mise à disposition aux responsables politiques d’une traduction de la doctrine catholique

Ces propos peuvent viser le mariage homosexuel, les lois bioéthiques, l’euthanasie ou tout autre sujet susceptible de heurter la doctrine de l’Église catholique, ils s’inscrivent dans la droite ligne de la diplomatie pontificale très active - aujourd’hui, le Saint-Siège entretient des relations diplomatiques avec 179 États ainsi qu’avec de nombreuses institutions internationales – qui consiste, selon le cardinal Jean-Louis Tauran, ancien secrétaire pour les Relations du Saint-Siège avec les États, à traduire « au niveau de la communauté internationale la doctrine sociale de l’Église catholique pour la mettre à la disposition des responsables de nations ». Et le Figaro souligne que Benoît XVI a rappelé à plusieurs reprises, notamment au parlement allemand en septembre 2011, que l’Église « exprime un respect total pour la démocratie et les décisions parlementaires ».

Des relations au « caractère confiant et constructif » entre le Saint-Siège et un « interlocuteur privilégié », la France

Au-delà de divergences de vues sur des questions sociétales, ce sont les questions internationales, les enjeux de développement, les enjeux globaux, tel que le changement climatique, « les objectifs de paix et de justice et de défense des droits de l’Homme », sur lesquels les positions « sont souvent très proches » rappelle le Quai d’Orsay, qui sont privilégiées dans les relations franco-vaticanes. Des « relations bilatérales qui ont traditionnellement un caractère confiant et constructif » selon le ministère des Affaires étrangères qui qualifie la France d’ « interlocuteur privilégié » pour le Saint-Siège.

En outre, une instance de dialogue entre le gouvernement et l’Église catholique a été créée en 2002 et se réunit une fois par an afin d’aborder les questions institutionnelles et administratives d’intérêt commun entre l’État et l’Église et d’échanger sur les thèmes d’actualité. La dernière réunion a eut lieu le 21 février 2013 et a notamment porté sur la présence cultuelle dans les lieux de rétention, dans les établissements pénitentiaires et dans les hôpitaux, ou encore sur l’accès au séjour des religieux étrangers et la reconnaissance des diplômes universitaires. Elle a également été l’occasion pour le gouvernement de rappeler « son soucis de poursuivre avec l’Église un dialogue constructif et serein sur toutes les questions de société et celles intéressant le culte » précise le Quai d’Orsay, qui ajoute, « le Vatican est attaché à ce que cette enceinte de dialogue débouche sur une coopération substantielle soutenue par la laïcité positive ».

Anne-Laure Chanteloup

Pour en savoir plus :

Document : Discours du pape François aux parlementaires français (par le pape François, La Croix)

"La société française redécouvre des propositions faites par l'Église" (Radio Vatican)

Les parlementaires français ont accueilli avec mesure le message du pape (par Frédéric Mounier, La Croix)

Le pape n'a absolument pas demandé l'abrogation de la loi sur le mariage pour tous (par Thomas Thévenoud, site du député)

Propos du pape : "pas lieu à polémiquer", juge Binet (Par Erwann Binet, BFM-TV)

"Pourquoi une diplomatie pontificale ?" Revue d'éthique et de théologie morale 2/2006 (n°239) (par le cardinal Jean-louis Tauran, Cairn.Info)

Le pape s'invite dans le débat politique français (par Jean-Marie Guénois, Le Figaro)

La France et le Saint-Siège : Relations politiques (site du ministère des Affaires étrangères)

Fiche encyclopédique : ministère des Affaires étrangères (AllGov France)

La France et ses relations avec le Saint-Siège, Bulletin n°22 de l'Institut Pierre Renouvin (Site de l’Université Paris I – Panthéon-Sorbonne)

Communiqué relatif à la réunion annuelle de l'instance nationale de dialogue avec l'Église de France (Portail du Gouvernement)

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